Argentine : vague d’apostasie pour réclamer la séparation Eglise-Etat

Suite au refus du Sénat de légaliser l’IVG sous le poids des institutions catholiques, une grande partie de la population argentine se désolidarise aujourd’hui de l’Eglise. 3 000 Argentins ont d’ores et déjà entamé des démarches pour se faire débaptiser. Derrière cette démarche, une revendication claire : la séparation complète de l’Eglise et de l’Etat, dans un pays qui n’est autre que le berceau du Pape François.

Que signifie apostasie ?

Le terme « apostasie » vient du grec ancien apostasis, qui signifie « se tenir loin de ». L’étymologie du mot est particulièrement éloquente. Aujourd’hui, le terme se restreint au domaine religieux, et le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNTRL) le définit comme « la renonciation publique à une confession, plus particulièrement un abandon de la foi (chrétienne) ». Concrètement, l’apostasie consiste à se faire débaptiser pour rompre avec l’Eglise catholique. Il s’agit d’un symbole fort qui témoigne d’une réelle volonté de se désolidariser des institutions catholiques argentines.

Un appel collectif à l’apostasie lancé en Argentine

Depuis la fin du mois d’août, le terme « apostasie » résonne particulièrement aux oreilles de la communauté catholique. L’Argentine a en effet lancé un appel collectif à l’apostasie suite au rejet de la légalisation de l’avortement par le Parlement Argentin.

Le Pape François, argentin et fervent opposant à l’interruption volontaire de grossesse, s’était exprimé sur le sujet au début de l’été au cours d’une rencontre avec des associations familiales au Vatican :

« Au siècle dernier, tout le monde était scandalisé par ce que faisaient les Nazis pour veiller à la pureté de la race. Aujourd’hui, nous faisons la même chose en gants blancs […] J’ai entendu dire qu’il est à la mode, ou au moins habituel, de faire au cours des premiers mois de grossesse des examens pour voir si l’enfant ne va pas bien ou s’il naîtra avec quelque chose, le premier choix étant de s’en débarrasser. »

Après les foulards verts, symboles de la lutte en faveur de la légalisation de l’IVG, une partie des Argentins se sont donc revêtus d’un foulard orange pour revendiquer dans les rues de Buenos Aires la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Un grand nombre de manifestants ont déjà entamé leurs démarches pour se faire débaptiser. Beaucoup d’entre eux déclarent s’être vus imposés un baptême trop jeune et ne pas se reconnaître dans la religion catholique, profitant de l’occasion pour s’en désolidariser au plus vite. D’autres ont déclaré vouloir rompre tout lien avec une Eglise jugée trop intolérante même s’ils restent effectivement croyants.

Les relations entre Eglise et Etat en Argentine

Le débat sur l’avortement a profondément divisé la société argentine. Tandis qu’une grande partie de la population féminine attendait ce projet de loi, perçu comme une véritable avancée sociétale, la pression du Vatican et des différentes paroisses semble avoir fait efficacement barrage. Pour autant, il ne s’agit pas ici de remettre en cause la position de l’Eglise catholique par rapport à l’interruption volontaire de grossesse : elle engage la foi et les croyances de chacun et n’a pas à être débattue en tant que telle. Cela est d’autant plus le cas si l’on tient compte du fait que le sujet est source de dissensions au sein même de la communauté catholique, qui voit ses pratiques se diversifier en différents types de catholicisme.

Le problème est plutôt de se demander dans quelle mesure l’Eglise est légitime à faire pression sur des choix politiques concernant l’ensemble des citoyens du pays, alors même qu’une partie importante de sa population est d’une autre confession, ne pratique pas la religion catholique, ou fait partie de la frange des catholiques favorables à l’IVG.

L’influence de l’Eglise catholique en Argentine est très différente de la situation observable en France. Intimement liée à l’Etat, l’Eglise argentine reçoit par exemple un financement public pour payer les salaires de ses évêques et financer l’éducation catholique. Mais au-delà de l’aspect financier, les liens entre Eglise et institutions étatiques semblent générer un rapport de force déplaisant qui rappelle la situation dictatoriale de la France avant la loi de 1905. Afin de faire pression sur les législateurs, il semblerait en effet que certains prêtres aient menacé d’excommunier tous les députés indécis qui voteraient en faveur du texte.

Une immixtion intrusive que le pays ne pourra résoudre qu’en votant effectivement la séparation de l’Eglise et de l’Etat, afin de rétablir des rapports sains entre politique et religion comme nous y sommes parvenus dans la majorité des pays d’Europe.